lundi 21 septembre 2015



L'internet est un phénomène dont l'importance ne peut pas être surestimée", a coutume de dire Andy Grove, le patron du fabricant de microprocesseur Intel. Le doute n'est plus guère permis en effet: avec Internet, la fameuse révolution de l'information et de la communication est bien en marche. Non pas que la technique mène le monde. Si Internet explose, c'est que nos sociétés attendaient cet outil. Les firmes qui se sont internationalisées et déconcentrées attendaient des moyens pour communiquer et se coordonner plus facilement et plus rapidement avec leurs filiales, leurs commerçants, leurs clients et leurs fournisseurs. De leur côté, de nombreux consommateurs, de plus en plus familiarisés avec l'informatique, attendaient eux aussi des moyens pour choisir, agir et émettre eux-mêmes des messages. De plus en plus stressés, ils n'apprécient que moyennement la convivialité des files d'attente au guichet de la banque ou au bureau d'état civil. Ils préfèrent consacrer leur temps libre à autre chose. Mais, et il en est toujours ainsi, l'apparition de nouveaux outils remodèle également d'autres aspects de la vie et fait émerger des offres nouvelles dont nous ne savons pas aujourd'hui ce qu'elles seront dans dix ans. Même si cette révolution industrielle répond à des besoins sociaux réels et contribue à accroître l'efficacité productive de nos sociétés, ses conséquences n'auront rien à voir avec l'avenir radieux qu'on nous annonce. Une révolution industrielle est un moment où les cartes sont brutalement rebattues au sein des sociétés et entre les pays, un processus toujours d'une grande violence. Des firmes nouvelles émergent, tandis que d'autres se retrouvent en faillite pour n'avoir pas compris à temps ce qui avait changé. Des pays qui maîtrisaient les techniques de la génération précédente se retrouvent d'un coup à la traîne. Des biens et des services qui jusque-là n'intéressaient personne deviennent des marchandises. Si nous comptons aujourd'hui dix-sept millions de chômeurs en Europe, ce n'est pas du fait d'une "révolution de l'information" qui n'en est qu'à ses balbutiements. Certes, la technologie structure profondément les sociétés et transforme les modes de vie, en modifiant le travail ou les formes et le contenu de la consommation. Mais elle peut être mise au service de projets sociaux très différents. Rien ne garantit que les potentialités de l'internet seront mises au service de tous. La détresse des "infos pauvres" pourrait être indicible dans un monde où l'information sera devenue tout aussi indispensable que le pain pour une existence sociale digne de ce nom. Saurons-nous faire mieux avec internet et le micro-ordinateur que les lords et les bourgeois anglais avec le métier Jacquart et la machine à vapeur? La société américaine, berceau phare de la révolution de l'information, ne nourrit guère d'optimisme à ce sujet. Aussi, ce n'est pas la "main invisible du marché" qui seule peut réguler l'essor d'internet, en maximiser les effets positifs et en minimiser les conséquences sociales négatives. Cela dépendra, comme toujours, de la capacité des hommes à s'organiser pour peser face aux entreprises, et de l'aptitude du pouvoir politique à créer et à imposer des règles. Le pouvoir politique, d'accord, mais lequel? La mise en place de règles du jeu mondiales a pris jusqu'à maintenant la forme de négociations (laborieuses) où les Etats harmonisent les règles nationales qu'ils ont mises au point: commerce, réglementation financière, droits sociaux… Avec internet, la question se pose de manière radicalement nouvelle: sa régulation sera mondiale ou ne sera pas. Internet constitue en effet la première infrastructure mondiale, le premier bien collectif que les hommes ont véritablement construit. Avec lui, le marché mondial cesse d'être un concept abstrait pour devenir une réalité, même si cette agora, cette place où l'on discute et où l'on fait ses courses n'est que virtuelle. Du coup, sa gestion pose le même type de problèmes que celle des biens collectifs indivisibles dont nous avons hérité: l'air et l'eau des océans. Saurons-nous réguler efficacement et socialement l'internet? Une question aussi ouverte que celle de savoir si nous saurons éviter à temps un réchauffement catastrophique de l'atmosphère. L'internet reflète, dans la façon dont il a été construit, les rapports de forces qui règnent au sein de l'humanité: il a été inventé aux Etats-Unis et, pour l'instant, sa croissance a profité et s'est nourrie d'initiatives et d'innovations américaines. Est-ce à dire que le réseau mondial est, et sera encore plus demain, le fer de lance et le rempart de la domination américaine sur le monde, une domination qui nous imposerait ce modèle anglo-saxon libéral tant redouté avec son cortège d'inégalités? Non. L'Angleterre exerçait à la fin du siècle dernier une domination technique, militaire et monétaire impressionnante sur le monde. Mais cette avance ne l'a pas empêchée de décliner rapidement. Les Etats-Unis, comme l'Allemagne, la France et le Japon, ont pris le dessus tout en développant des systèmes sociaux profondément différents de ceux de l'Angleterre victorienne. L'avenir de l'internet n'est pas écrit dans son acte de naissance. Il dépend beaucoup de notre capacité collective à nous approprier cet outil pour y imprimer notre marque. Au besoin dans un rapport de forces avec le gouvernement américain. L'internet est d'abord un outil. Tout l'enjeu est de savoir ce que nous en ferons. Aggraverons-nous les inégalités ou mettrons-nous de nouveaux services à disposition du plus grand nombre?
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